Gaz de schiste : la justice interdit de regarder
Le tribunal administratif de Melun a refusé à Hess Oil la possibilité de forer un puits d’exploration conventionnel sous prétexte qu’il s’intéresse aux hydrocarbures non conventionnels. Une première en France.
Comme attendu le mercredi 12 mars, le tribunal administratif de Melun a interdit au pétrolier américain Hess Oil de forer un puits d’exploration pétrolière à Nonville (Seine-et-Marne), à la demande d’opposants au gaz de schiste. Ces derniers dénoncent le fait que l’industriel s’intéresse aux hydrocarbures non conventionnels. Aussi, ils se réfèrent à la loi du 13 juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique. Le pétrolier américain s’était pourtant engagé à n’utiliser que des techniques traditionnelles de forage.
L’interdiction d’un forage pétrolier est une première en France… Et qui plus est une première dangereuse. Avec cette décision, le tribunal interdit l’idée même de regarder le sous-sol français. Pire, il soupçonne a priori un investisseur étranger de ne pas respecter la loi française en employant une technique interdite.
La circulaire Batho
Cette décision s’inscrit dans un contexte général d’hostilité à toute activité pétrolière en France. Une centaine de permis sont aujourd’hui bloqués par l’administration française. Surtout, la circulaire 2012 de Delphine Batho, ex-ministre de l’écologie, continue à freiner toute initiative. Elle impose aux préfets de refuser les permis utilisant la fracturation hydraulique, conformément à la loi.
Mais la circulaire va bien plus loin en imposant aussi l’abrogation des permis "si les travaux prévus ou réalisés laissent apparaître que l'objectif géologique réellement visé concerne des roches-mères" en précisant que "les forages qui ne viseraient spécifiquement que des objectifs situés dans des roches mères ne sont pas acceptables".
Gaz de schiste: Montebourg tente un ballon d’essai gonflé au fluoropropane
C3 H7 F. L’avenir énergétique de la France, selon Arnaud Montebourg, tient en une formule chimique: celle du fluoropropane. L’usage de ce NFP –pour non flammable propane- serait la solution technique idéale pour exploiter le gaz et le pétrole de schiste et dépasser la querelle environnementale née autour de fracturation hydraulique (eau, produits chimiques, retraitement).
Ainsi peuvent se résumer, selon Le Canard Enchainé, les conclusions du groupe d’experts rassemblés en secret depuis un an par le ministre du redressement productif pour plancher sur la question. Même si ce gaz n’a encore jamais été utilisé pour l’extraction d’hydrocarbures, il pourrait déjà fissurer encore un peu plus l’électorat qui oscille entre le refus des écologistes de toute exploitation et le «pourquoi pas?» de certains socialistes. A commencer par le premier d’entre eux, François Hollande, qui déclarait en novembre 2012 que, «tant qu’il n’y aurait pas de nouvelle technique, il n’y aurait pas d’autorisation de permis d’exploration des gaz de schiste (…) La recherche est possible sur d'autres techniques que celle de la fracturation hydraulique. Pour l'instant, cette recherche n'a pas abouti, je ne peux pas l'interdire, elle n'est pas interdite pas la loi». Message appliqué à la lettre par Arnaud Montebourg, qui aurait toutefois préféré garder le rapport rédigé par «des géologues, des économistes publics et privés» par devers lui jusqu’aux élections municipales, afin de ne pas bousculer les négociations avec l’alliée EELV.
Le fluoropropane n’est pas un inconnu au bataillon, puisque ce gaz figure en bonne place dans le rapport rédigé par le député PS Christian Bataille, et le sénateur UMP Jean-Claude Lenoir, dans le cadre de la mission de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), consacrée aux «techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels». On y lit qu’il s’agit d’«une substance utilisée dans le domaine médical et pour l’extinction des feux». Ses vertus? Elles sont fort nombreuses sur le papier. La première d’entre elle, c’est que ce gaz est ininflammable, à la différence de son cousin le propane, dont l’utilisation nécessite la mise en place d’installations industrielles lourdes et très règlementées (ICPE). «[Le propane] implique la manipulation de quantités de matières inflammables, que nous ne sommes pas prêts à promouvoir dans un contexte européen de forte densité de population», expliquait lors d’une audition de l’Opescst, Bruno Courme, le directeur de la filiale Total Gas Shale Europe.
Autre avantage du fluoropropane: «Le NFP est utilisé sans eau ni additifs et le fluide de fracturation peut être récupéré quasi intégralement, sous forme gazeuse. Ce recyclage contribue à compenser le prix très élevé de cette substance». Le gaz marquerait également des points en matière de «performances techniques».
Autre détail d’importance, quand de plus en plus d’études américaines établissent que le taux de fuite en méthane des puits de gaz de schiste tourne autour de 9%: «Si le NFP est sans danger pour la couche d’ozone, il n’est pas sans danger pour le climat. Il représente aujourd’hui 0,5 pour mille des émissions totales de gaz à effet de serre».
Tous les éléments techniques en faveur du fluoropropane n’ont qu’une seule et même source –relayée sans point de vue contradictoire par l’Opesct- que le lecteur est prié de croire sur parole: il s’agit de l’industriel qui annonce vouloir utiliser le fluoropropane pour stimuler la roche-mère. EcorpStim, une société américaine basée au Texas, avait été auditionnée par l’Opesct en avril dernier. «Bien que ce procédé n’ait pas encore fait l’objet de démonstrations à taille réelle, la société EcorpStim n’a aucun doute sur les résultats qui seront obtenus, dans la mesure où elle tire les enseignements de l’emploi, par le passé, de mélanges propane-butane, le NFP étant un gaz aux caractéristiques intermédiaires entre les deux précédents», précise le rapport de l’Opesct.
Il y a deux semaines, Total annonçait une prise de participation, à hauteur de 40%, dans deux permis d’exploration et d’exploitation à l’est des Midlands, pour un montant de près de 20 millions de dollars (14,6 M€). Parmi les nouveaux partenaires du géant français, une certaine eCorp Oil and Gas UK, qui se félicitait dans un communiqué de ce «tournant». A défaut d’avoir réussi à imposer l’idée que les gaz de schiste sont une impasse climatique –ce que répète toutefois le ministre de l’écologie, fidèle à son refus de toute exploitation, quelle que soit la méthode-, les opposants se retrouvent pris au piège des querelles techniques. Pour l’heure, le fluoropropane en est encore au stade expérimental. Mais pour combien de temps ?
Gaz de schiste : Martin réplique de nouveau à Montebourg
Gaz de schiste : Albion fait les yeux doux aux pétroliers, Total succombe
De l’autre côté de la Manche, le climat est bien plus clément pour les industriels du gaz de schiste. GDF-Suez, et maintenant Total, l’ont bien compris, qui sont en train d’y investir plusieurs dizaines de millions de dollars. Le gouvernement Cameron, lui, tente de convaincre ses concitoyens à grand renfort de mirifiques cadeaux fiscaux.
Les poids lourds de l’industrie pétrolière continuent à investir le gaz de schiste made in UK : après Gaz de France-Suez en octobre 2013, c’est au tour de Total d’annoncer une prise de participation, à hauteur de 40% [1], dans deux permis d’exploration et d’exploitation à l’est des Midlands, pour un montant de près de 20 millions de dollars (14,6 M€). Le géant français, qui laisse la phase d’exploration à son partenaire britannique Igas, prendra les rênes des opérations lors de la phase d’appréciation [2] et d’exploitation. Le premier puits d’exploration devrait être foré fin 2014. Total est en terre connue: avec des investissements d’environ 2 Md$ (1,46 Md€) par an au Royaume-Uni, sa filiale Total E&P UK devrait devenir le plus important producteur d’hydrocarbures du royaume, l’année prochaine. En 2013, l’entreprise a produit 105.000 barils équivalents pétrole par jour, extraits à 90% de champs situés en mer du Nord.
Acceptabilité sociale
«Le groupe a déjà des intérêts dans des projets de gaz de schiste aux USA, en Argentine, en Chine, en Australie, et pour Europe en Pologne et au Danemark. Nous allons utiliser au Royaume-Uni l’expertise acquise dans ces pays», précise Patrice de Viviès, directeur Exploration Production pour l’Europe du Nord, dans un communiqué. Cette expertise va bien au-delà de la technique pétrolière même, précise-t-on chez Total. «Nous avons acquis, notamment au Danemark où l’on est vigilant sur ces questions, des compétences en matière de concertation locale, de transparence et de pédagogie, assure un porte-parole du groupe, page internet à la clé. Dans ce domaine, l’expertise compte aussi en matière d’acceptabilité sociale».
Cadeaux fiscaux en pagaille
Le climat britannique est parfait pour Total, alors que David Cameron multiplie les opérations séduction à l’intention de son opinion publique, afin d’accélérer l’acceptation des gaz de schiste sur l’île. Dernier épisode en date: les communes sur le territoire desquelles se trouverait un puits en production toucheraient l’intégralité de la taxe professionnelle due par l’exploitant, contre 50% aujourd’hui, a annoncé le Premier ministre britannique. Une somme rondelette, évaluée à 1,7 million de livres (2 M€) par site, qui viendrait s’ajouter aux 100.000 £ (120.000 €) versés à l’ouverture de chaque site d’exploration. Et ce sans compter le «cadeau» de l’industrie pétrolière, qui a annoncé qu’elle reverserait également aux villes concernées 1% des revenus dégagés par la découverte d’hydrocarbures.
Le gouvernement britannique a même avancé la possibilité de verser directement aux propriétaires une partie des bénéfices générés. En décembre dernier, le ministre de l’aménagement du territoire plaidait pourtant pour que les propriétaires de terrain ou de maison ne soient plus informés des travaux de forage pétroliers qui avaient lieu sous leurs pieds.Une obligation qui concernerait «un nombre disproportionné de personnes et d’entreprises, estimait alors Nick Boles. Ce serait inutile et excessif lorsque d’autres formes d’avis sont disponibles».
Corruption des municipalités
«Il s’agit d’une tentative criante du gouvernement de corrompre des communes pressées de toutes parts d’accepter la fracturation hydraulique chez elles, a réagi Lawrence Carter, de Greenpeace UK. Alors que les affirmations selon lesquelles le fracking allait baisser la facture énergétique des particuliers ou créer des emplois ont été largement discréditées, le gouvernement a directement recours à la corruption pour vendre une politique profondément impopulaire».
Clémente Albion
Pas question de commenter les choix fiscaux du gouvernement Cameron, fait-on savoir chez Total. «Mais quand on prend la décision d’investir dans un pays, c’est qu’on est content de la manière dont on est accueilli et qu’on sent une volonté politique établie de développer les ressources». Un climat moins hostile qu’en France ? «On n’est pas du tout dans une logique «amère» vis-à-vis de ce qui a été décidé en France. Nous sommes un groupe international, il y a suffisamment à faire dans les 130 pays du monde où Total est présent».
La ruée vers les concessions
Et l’avenir, au Royaume-Uni, s’annonce plein de promesses. La Grande-Bretagne s’apprête, en effet, à ouvrir à nouveau ses concessions au plus offrant, dans un 14e round qui pourrait attirer des industriels de stature de plus en plus importante. Le gâteau est, il est vrai, conséquent: les deux tiers du territoire d’Albion ont été jugés éligibles à la délivrance de permis, notamment dans les Midlands, le comté de Cumbrie (nord-ouest) et au pays de Galles. Une manne à laquelle les politiques britanniques ne peuvent renoncer, alors que les puits de pétrole et de gaz sous-marins amorcent une déplétion sensible. «Dans les années 1970, le pétrole de la mer du Nord nous a permis de sortir notre économie de sa stagnation handicapante. Nous avons une chance comparable de créer des dizaines de milliers d'emplois et la sécurité énergétique avec le gaz de schiste», a déclaré le secrétaire d'Etat chargé du commerce, Michael Fallon, dans le Sun on Sunday.
Des choix climatiques hasardeux
Et les engagements climatiques de la Grande-Bretagne? Sur le papier, le pays a une carte à jouer avec le gaz de schiste, puisque le charbon représente 33% du mix électrique actuel (pour 27% pour le gaz naturel, 13% pour les énergies renouvelables et 24% pour le nucléaire). C’est faire peu de cas de deux éléments essentiels de la problématique : d’une part, l’essentiel des centrales à charbon du pays vont devoir fermer d’ici 2015 pour respecter les prescriptions de la directive de 2001 sur les grandes installations de combustion ; d’autre part l’empreinte carbone du gaz de schiste serait comparable à celle du charbon.
[2] Il s’agit de procéder au forage de puits-pilotes, avec de petites productions, qui permettent de connaître le débit d’hydrocarbures et donc la quantité de ressources disponibles et sa rentabilité.
L'énorme désastre écologique du pétrole bitumeux
L'énorme gâteau du pétrole bitumeux
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Construction d’une unité de traitement du bitume
Des bassins de décantation stockent les boues résiduelles
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Les boues résiduelles
Les réservoirs insalubres
Révélation WikiLeaks : l’industrie pétrolière se prépare pour la plus importante campagne environnementale jamais connue
WikiLeaks, la plateforme des lanceurs d'alerte, a dévoilé récemment une série de documents qui révèlent à quel point les compagnies pétrolières se sentent acculées par les activistes. Les experts pensent que l'opposition aux projets dangereux pour l'environnement, notamment l'exploitation des sables bitumeux, pourrait à terme devenir la plus grande campagne pour l'environnement de tous les temps. Ces révélations éclairent les méthodes mises des multinationales pour appréhender la résistance (subdivisée en catégories allant de « réaliste » à « radicale »).
Alors que durant plusieurs décennies, les entreprises pétrolières et gazières ont pu jouir d'une certaine liberté de mouvement, elles doivent depuis quelques années faire face à une contestation toujours plus importante. Les multinationales impliquées dans le très controversé oléoduc Keystone-XL s'estiment d'ailleurs à ce point menacées par les activistes qu'elles encouragent leurs départements de relations publiques et de conseil à s'armer contre la critique.
Les campagnes de marketing élaborées par les compagnies pétrolières encouragent les activistes à poursuivre leurs actions. Scott Parkin, membre du Rainforest Action Network et de Rising Tide North America, déclarait à Inside Climate News : "Le fait que des sociétés telles que Strategic Forecasting nous étudient et nous ciblent est révélateur de l'influence de nos structures.Il va de soi que de tels documents n'étaient pas destinés à des non-initiés, mais nous ne nous laisserons pas intimider. Au contraire, cela nous encourage à exercer une pression encore plus forte."
Traduit par Olivier Porignaux
pour Investig'Action
"Défendre le gaz de schiste est une position passéiste"
Un rapport parlementaire favorable au gaz de schiste, mais un ministre de l’Écologie qui campe sur l’interdiction de la fracturation hydraulique : la France envoie des signaux contradictoires. Point de vue d’un farouche opposant au gaz de schiste.
Sur quel pied danse actuellement la France sur la question du gaz de schiste ? D’un côté, deux parlementaires, le député socialiste Christian Bataille et le sénateur UMP Jean-Claude Lenoir, ont rendu public, mercredi 27 novembre, un rapport appelant à “dédiaboliser le débat” sur la question et prônant les expérimentations sur le territoire français de techniques de fragmentation hydraulique “améliorée”.
De l’autre, le ministre de l’Écologie Philippe Martin a annoncé, dans un entretien au "Parisien" paru jeudi 28 novembre, qu’il n’accorde pas au groupe américain Hess Oil le droit de procéder à des forages pétroliers dans le bassin parisien. Motif du refus ? "Pouvais-je valider ces mutations de permis, alors que l’objectif initial était exclusivement d'explorer des gaz de schiste [...], cela implique forcément d'avoir recours à la fracturation hydraulique qui est un procédé interdit en France", a expliqué le ministre.
Malgré l’interdiction de la fracturation hydraulique inscrite dans la loi de 2011, le débat est, donc, loin d’être clos dans l’Hexagone. Le fossé semble même se creuser entre ceux qui, à l’instar des rapporteurs, estiment que l’avantage économique de l’exploitation du gaz de schiste est trop important pour être mis de côté et ceux qui ne veulent pas en entendre parler pour des raisons écologiques. La faute aux nouvelles techniques d’extraction - actuellement encore à l’étude en laboratoire - censées être plus écolo-compatibles. L'utilisation d'arcs électriques, de la fracturation thermique ou encore de la stimulation par propane sont autant de nouvelles flèches à l’arc des adeptes de l’exploitation du gaz de schiste.
De l’autre côté, les détracteurs de l’utilisation de cette ressource non-conventionnelle ne veulent même pas se laisser entraîner sur le terrain des multiples techniques de fracturation. Dans ce camp, le député Europe Ecologie-Les Verts (EELV) François-Michel Lambert est un jusqu’au-boutiste qui estime que tout le débat autour du gaz de schiste est “passéiste”. Il est aussi l’auteur d’une proposition de loi, en attente depuis un an, qui vise à interdire une fois pour toute l’exploitation du gaz de schiste sur le sol français.
FRANCE 24 : Que pensez-vous du rapport parlementaire appelant à “dédiaboliser” le débat sur le gaz de schiste ?
François-Michel Lambert : J’ai envie de l’ignorer. Pour moi, les auteurs du rapport sont des “climato-sceptiques” du débat sur la politique énergétique. À chaque fois qu’on leur donne la parole, ils disent la même chose, et essaient de repeindre en vert une technique mauvaise pour l’environnement.
Ceux qui ont rédigé ce rapport ne servent pas l’intérêt général, mais celui d’entreprises qui sont très intéressées à ce que l’on fasse des trous en France - gaz de schiste ou pas - pour pouvoir vendre leur matériel d’extraction.
F24 : Pourtant, les auteurs du rapport reconnaissent les limites “environnementales” des techniques actuelles et évoquent une fracturation hydraulique “améliorée”, cela ne pourrait-il pas réconcilier tout le monde ?
F.-M. L. : Ce n’est pas qu’une question de technologie. C’est une question de savoir dans quel sens on veut aller pour notre politique énergétique. Quand je rencontre des industriels du secteur du gaz comme GDF ou GRTgaz, ils me disent que leur ambition forte c’est le bio-gaz. C’est ça la modernité. Défendre le gaz de schiste est une position passéiste.
Tandis que nous parlons encore de gaz de schiste, les Allemands ouvriront dans les prochains mois une station de méthanisation [transformer le dioxine de carbone en méthane, NDLR] ! Alors quand on vient me dire qu’il faut creuser, je dis oui, mais pas dans nos sous-sols, plutôt se creuser les méninges pour avancer sur les questions d’énergie renouvelable.
F24: Avez-vous été étonné par la décision de Philippe Martin de ne pas accorder les permis de forage pétroliers à l’américain Oil Hess ?
F.-M. L. : Connaissant Philippe Martin, je n’ai pas été surpris. J’ai surtout été satisfait qu’il ait réussi à obtenir l’adhésion du gouvernement, plutôt frileux sur ces questions jusqu’à présent. Alors oui, je suis plutôt heureux du courage retrouvé par l’exécutif sur ce dossier.
F24 : Mais entre le rapport parlementaire et la décision du ministre de l’Écologie, on a du mal à savoir où se situe le pays sur la question du gaz de schiste…
F.-M.L.: Sur cette question comme sur d’autres on retrouve la ligne “hollandiste” qui est de réussir à faire plaisir à tout le monde dans la même phrase. Je crois que le gouvernement joue un jeu géopolitique particulier. Ils peuvent difficilement pousser l’Algérie à accepter de mener des recherches sur les techniques d’extraction de gaz de schiste, et affirmer dans le même temps, haut et fort, que la fracturation hydraulique est mauvaise. Mais ça n’empêche pas, je pense, le gouvernement à pousser les recherches sur les énergies renouvelables.
Des parlementaires relancent le débat sur les gaz de schiste
Le sénateur UMP de l’Orne Jean-Claude Lenoir et le député socialiste du Nord Christian Bataille ont rendu hier un rapport sur les «hydrocarbures non conventionnels», c’est-à-dire les gaz et pétrole de schiste.
Les deux élus sont membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), organisme dépendant à la fois de l’Assemblée nationale et du Sénat.
À rebours de l’opinion prédominante aujourd’hui à la tête de l’État, les deux parlementaires plaident pour une reprise des expérimentations dans ce domaine. Les forages expérimentaux sont actuellement interdits par la loi du 13 juillet 2011 – loi confirmée par le Conseil constitutionnel en octobre dernier, après qu’une société américaine eut tenté de la faire déclarer inconstitutionnelle (lire Maire info du 11 octobre).
Les deux élus estiment que depuis l’adoption de cette loi, les techniques ont évolué «très rapidement», que la fracturation hydraulique, réputée nocive pour l’environnement, n’est plus la seule alternative, et déplorent que la recherche se développe partout «sauf en France» à cause de cette loi de 2011. Ils estiment qu’interdire la recherche s’assimile à «de l’obscurantisme». Pour Jean-Claude Lenoir et Christian Bataille, la fracturation hydraulique elle-même est «mieux maîtrisée» qu’auparavant et donc moins dangereuse. Ils demandent donc que les expérimentations reprennent là où le sous-sol est riche – dans le sud-est du pays et en région parisienne. «Nous pensons qu’il faut consommer moins d’hydrocarbures, expliquent les deux parlementaires, mais que (ceux) que nous consommons doivent en priorité venir de notre sous-sol».
Deux autres parlementaires membres de l’Opecst, Denis Baupin et Corinne Bouchoux (EELV), ont aussitôt publié un communiqué pour annoncer qu’ils avaient voté contre ce rapport, jugé «partiel et partial». Ils estiment que les personnes auditionnées par la commission étaient «à 80% favorables aux gaz de schiste».
Le débat est sans doute loin d’être clos.
Gaz de schiste : les conséquences écologiques et sanitaires
Un reportage passé au 20h de France 2 le 11 octobre dernier. Etonnant non ?
Une victoire au gout amer
Comme l’ont évoqué de nombreux média, de nombreux intervenants, pour tous ceux qui s’opposent à l’exploration et à l’exploitation des pétrole et gaz de schiste, c’est une victoire, certes. Mais elle a un goût amer. En effet, la loi validée par le Conseil Constitutionnel est composée de QUATRE articles. Seuls les articles 1 et 3 étaient contestés par l'entreprise américaine Schuepbach. Les articles 2 et 4 ne posaient pas problème au pétrolier. En effet, ces deux articles (2 et 4) concernent la possibilité d'expérimenter la fracturation hydraulique !!!!
L'article 2 de la loi prévoit la création d'une “commission nationale d’orientation, de suivi et d'évaluation des techniques d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux” (ouf!!!). Le décrêt d’application créant cette commision a été publié en avril 2012. La composition de cette commission est précisée dans ce décrêt. Jusqu’à présent le gouvernement n’a pas mis de nom en face des différents rôles.
Cette commission a pour objectif d’évaluer les techniques d'exploration... Elle va pouvoir autoriser des fracturations hydrauliques expérimentales. C’est d’ailleurs cette situation qui faisait dire, depuis 2011, aux collectifs (dont le collectif du Pays Fertois) que la loi était loin d’être parfaite, qu’elle comportait des aspects dangereux!
Depuis vendredi 11 octobre au matin, les différents pétroliers, y compris par la voix de leur représentant, M. Schilansky (président de l’Union Française des Industries du Pétrole), réclament en choeur la mise en place d’expérimentations autorisées par la loi. Ces pétroliers demandent l’application pleine et entière de la loi. Ils sont soutenus par Christian Jacob lui même, réclamant la mise en place complète de “sa” loi.
Les pétroliers sont confortés dans leur démarche par l’activité de “l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques” [OPECST]. Il s’agit d’un groupe composé pour moitié de députés, pour moitié de sénateurs, groupe coprésidé par le député PS Bataille et le sénateur UMP Lenoir. L'office parlementaire (aussi appelé dans les média “commission Bataille et Lenoir”) s’est chargé, en janvier 2013, de produire un rapport présentant les alternatives à la fracturation hydraulique. l’OPECST avait préconisé, dans un pré-rapport, en janvier dernier, l’utilisation de la fracturation au propane, proposée par l’entreprise EcorpStim, mais devant les risques d'explosion avait un peu modéré son ardeur sur le sujet en juin au moment de la remise du rapport intermédiaire… Le rapport définitif de l'Opecst est prévu pour début novembre!
Heureux hasard, jeudi 10 octobre, la société EcorpStim (qui vend une solution de fracturation au propane) a publié un communiqué de presse présentant une amélioration à sa méthode: la fracturation au propane non-inflammable. Ce propane non inflammable (évoqué par Bataille le 11 octobre) n’est plus soumis à la directive « Seveso4 » qui reléguait cette fracturation sans eau aux oubliettes. Maintenant que le propane n’est plus inflammable, maintenant que cette fracturation n’utilise plus d’eau, les partisans de l’exploration et de l’exploitation des pétrole et gaz de schiste vont pouvoir demander une expérimentation en vraie grandeur de cette “alternative à la fracturation hydraulique”.
- C’est oublier, un peu vite, que le mot hydraulique ne signifie pas « avec de l’eau » mais avec du « liquide ». Le propane en question est utilisé sous sa forme liquide…
- C’est oublier, un peu plus vite encore, que la fracturation, quel que soit le support utilisé est dangereuse non pas immédiatement mais sur le long terme. La pollution des nappes phréatiques ainsi que la pollution atmosphérique est la conséquence des remontées lentes des hydrocarbures non récupérés au moment de l’exploration et/ou de l’exploitation. 5% du pétrole, uniquement, est récupérable via la fracturation. Le reste, non récupérable immédiatement, remontera inexorablement, quel que soit le temps nécessaire, au bout de 5 ans, de 50 ans, de 500 ans. Il n’y a pas de fracturation propre!
Au delà de la question de la QPC qui était une tentative judiciaire d’imposer au gouvernement de revenir sur un choix fait par les parlementaires français, les pétroliers ont attaqué en justice à de très nombreuses reprises le gouvernement à propos des permis d’exploration visant le pétrole et le gaz de schiste.
En janvier 2013, Hess a attaqué le gouvernement au motif qu’on ne voulait pas lui signer le prolongement du permis de Mairy, comme le Tribunal de Chalons en Champagne n’a pas voulu répondre, Hess Oil a demandé au Conseil d’Etat de se prononcer. Ce qui fut fait en juillet 2013. Le Conseil d’Etat a donné raison à Hess Oil, avec cerise sur le gâteau, la reconnaissance de son droit sur un permis pour lequel le gouvernement n’avait pas signé d’accord de mutation.
En avril 2013, Hess a attaqué le gouvernement au motif qu’on ne voulait pas lui signer les arrêtés de mutation (les transferts de propriété) pour 7 permis du Bassin Parisien (Aufferville, Courtenay, Nogent-sur-Seine, Nemours, Rigny-le-Ferron, Leudon et Chateau-Thierry). Le tribunal administratif avait donné raison à Hess et avait demandé au ministère de l’ordre dans ses dossiers. Ne voyant rien venir, Hess Oil est revenu en septembre 2013 au Tribunal Administratif de Cergy en demandant une astreinte journalière de 10.000 euros par jour pour non respect de la chose jugée. Le tribunal a modéré les ardeurs de Hess, mais il a néanmoins condamné le ministère à payer 2.000 euros par jour à partir du 17 octobre si les arrêtés de mutation pour les 7 permis cités n’étaient pas signés.
A la lecture de toutes ces procédures, on apprend que le gouvernement n’a présenté AUCUNE défense.
Pourquoi l'Etat n'a-t-il jamais présenté de défense dans tous les procès qui l'opposent à Hess Oil?
Nous pensons que ce silence passif est éloquent.
Le gouvernement aurait il décidé de déléguer à la justice ses choix politiques en la matière ?
Il faut savoir que le gouvernement peut refuser de signer ces arrêtés de mutation (cette “mise à jour’ des titres de propriété). En effet quatre de ces permis au minimum ont pour seul objectif d’exploration le Lias, c’est à dire la couche géologique contenant les huiles de « roche-mère », nom savant de ce que nous nommons le « pétrole de schiste ».
Pour revenir à la commission de suivi et d’évaluation instaurée par la loi Jacob, on peut craindre que le gouvernement applique la même tactique: se laisser imposer une politique via la justice.
S’il ne nomme pas les membres de la commission de suivi prévue par la loi Jacob, les pétroliers iront en justice pour demander la mise en place de cette commission.
Le gouvernement se verra donc "imposer" par la justice la nomination des membres de cette commission “à l'insu de son plein gré”.
Le gouvernement pourra dire qu'il ne souhaitait vraiment pas les expérimentations mais que la justice lui a imposé cette situation.
C'est une manière de ne pas prendre ses responsabilités.
Vendredi 11 octobre, le ministre de l'environnement, aurait très bien pu, dans la foulée de son commentaire, dire que par ailleurs les permis qui n'avaient que comme seul objectif l'exploration du pétrole de schiste étaient annulés (comme le prévoit la loi). Mais non. Ces permis ont été maintenus, aucun commentaire n'a été fait par le ministre.
Ce même vendredi matin, Philippe Martin aurait pu profiter de l’occasion pour envoyer un message clair aux pétroliers en les informant de son refus de signer les arrêtés de mutation demandés par voie de justice. Mais non, ces différents procès n’ont pas été évoqués dans les média…
Vendredi 11 octobre nous avons pu assister avec effarement aux déclarations de Philippe Martin, relayées par Jose Bové et d’autres écologistes. Nous les avons entendu exprimer leur satisfaction de voir maintenue une loi qu’ils avaient combattue personnellement, en 2011. En effet, Philippe Martin, député PS en 2011, avait refusé de voter cette loi, au motif qu'elle était mal écrite, qu'elle ne protégeait pas les populations, qu'elle permettait les expérimentations, qu’elle ne définissait pas la fracturation hydraulique. Le tampon de constitutionnalité donné par le Conseil Constitutionnel change-t-il quoi que ce soit aux critiques exprimées sur les termes de cette loi ?
Une victoire amère donc...
Toutes ces pièces du puzzle se referment pour créer un tableau peu réjouissant: une expérimentation en vraie grandeur autorisée par la loi, une commission parlementaire qui rédige un rapport favorable aux expérimentations, des industriels qui poussent à la roue, des pétroliers qui utilisent la justice pour faire passer en force leur politique. On peut donc en déduire, sans crier au loup, que la plateforme de Jouarre, pourra, sans difficulté, dans les semaines à venir être l’un des lieux choisis pour une expérimentation effectuée dans le cadre de la loi… Restons vigilants !