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Association Territoire d'avenir Ourcq-Marne-Multien
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7 octobre 2013

Gaz de schiste : pourquoi l'Europe ne doit pas se leurrer

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Même en supposant que leur exploitation finisse par être partout autorisée, les gaz et le pétrole de schiste ne provoqueront pas en Europe un choc économique de même ampleur qu'aux Etats-Unis

Dessin de Boll

Les gaz de schiste sont devenus en France l'objet de tous les fantasmes. Et feront encore l'actualité cette semaine, puisque le Conseil constitutionnel doit rendre vendredi un avis très attendu sur la loi interdisant dans l'Hexagone la technique permettant de les exploiter... Lever cette interdiction permettrait selon leurs partisans de réduire notre facture énergétique, de restaurer la compétitivité de notre industrie, de créer des centaines de milliers d'emplois. Car, selon l'US EIA, une administration américaine de statistiques sur l'énergie, l'Hexagone recélerait des réserves de gaz et de pétrole de schiste considérables : 3.870 milliards de mètres cubes de gaz et 4,7 milliards de barils de pétrole. Soit, près de quatre-vingts ans de consommation pour le gaz, et près de soixante ans pour le pétrole. De quoi alimenter les rêves les plus fous. Les Français ne sont pas les seuls à fantasmer ainsi. La Pologne espère réduire sa dépendance à l'égard de la Russie, la Grande-Bretagne compte compenser le déclin de ses champs en mer du Nord...

Aux Etats-Unis, ces hydrocarbures non conventionnels ont, il est vrai, provoqué une révolution. Entre 2005 et 2012, la production de gaz y a augmenté de 33 % et celle de pétrole de 28 %. Selon une étude toute récente de l'IHS Cera (qui conseille l'industrie pétrolière), ce boom a conduit en 2012 à la création de 2,1 millions d'emplois (y compris indirects et induits), généré 75 milliards de dollars de recettes fiscales, et accru les revenus de chaque foyer de 1.200 dollars. Le pays a doublement bénéficié de l'effet « pétrole et gaz de schiste » : non seulement son économie a tiré partie du regain d'activité de l'industrie pétrolière elle-même, mais elle a aussi profité de la baisse spectaculaire du prix du gaz liée à la hausse de la production : il a été divisé par quatre en six ans. Un avantage compétitif énorme, qui a bénéficié aux industries fortement consommatrices d'énergie et amorcé un phénomène de réindustrialisation aux Etats-Unis. L'indépendance énergétique du continent nord-américain d'ici à la fin de la décennie est désormais considérée comme une hypothèse plausible.

Force est pourtant de constater que l'Europe n'est pas l'Amérique. Même en supposant que les doutes aient été levés sur les pollutions liées à leur exploitation, et que la technologie utilisée, la fameuse fracturation hydraulique, soit partout autorisée, les gaz de schiste ne provoqueront pas en Europe un choc économique de même ampleur qu'aux Etats-Unis. L'argument est régulièrement brandi par leurs opposants, mais il est aussi largement partagé par les industriels experts du pétrole et du gaz.

Aucune étude sérieuse n'a été réalisée sur le sujet. L'exercice relève de la mission impossible puisque personne n'a aujourd'hui aucune idée du potentiel réel de l'Europe. Les estimations avancées par US EIA ou d'autres administrations nationales reposent sur les hydrocarbures a priori présents dans le sous-sol, en fonction de la géologie, et non sur ceux qui seraient récupérables à un coût acceptable. Or il est rare que le taux de récupération soit supérieur à quelques pour cent. Même s'il atteignait 10 % en moyenne - un niveau plutôt optimiste -, la production potentielle de gaz de schiste ne dépasserait pas au total 1.300 milliards de mètres cubes en Europe. Soit, sur une durée de production de vingt-cinq ans, à peine 5 % de la consommation européenne annuelle. Un calcul très théorique, mais qui a le mérite de rappeler les ordres de grandeur. Aux Etats-Unis, les gaz non conventionnels ont représenté 56 % de la consommation en 2012.

La rapidité et l'ampleur de l'essor de la production outre-Atlantique ne pourront pas non plus être répliquées en Europe. Les conditions exceptionnelles existant aux Etats-Unis n'y sont pas réunies : présence d'une industrie pétrolière et gazière importante, de matériel de forage abondant, d'un réseau de gazoducs, de grands espaces vides, qui leur a permis de forer plus de 200.000 puits en quelques années. Le contexte juridique a aussi joué un rôle : les citoyens sont propriétaires de leur sous-sol et ont un intérêt financier à signer directement avec les compagnies. En Europe, non seulement l'infrastructure reste limitée, mais les réglementations locales sont plus contraignantes. La Pologne, qui a démarré l'exploration en 2008, n'a foré qu'une quarantaine de puits. Au Danemark, les premiers forages ont été décalés d'un an, le temps de réaliser des études d'impact poussées. Même constat au Royaume-Uni. «  Il faudra compter en Europe au moins dix ans entre le démarrage d'un site et l'entrée en production, contre trois aux Etats-Unis, pronostique un industriel. De même, pour des raisons d'acceptation, devra-t-on sans doute limiter le nombre de forages simultanés dans la même zone. » Selon une étude récente de Bloomberg Energy Finance, les coûts de production au Royaume-Uni seraient ainsi entre 50 % et 100 % plus élevés qu'aux Etats-Unis.

Moins massive, plus étalée dans le temps, la production d'hydrocarbures de schiste en Europe sera plus coûteuse et sans doute insuffisante pour peser sur les prix ou réduire réellement sa dépendance énergétique. Même si la France parvenait à produire 30 % de sa consommation de gaz, elle ne réduirait sa facture énergétique que de 3 à 4 milliards d'euros par an sur un total de 70 milliards en 2012. L'impact sur l'emploi serait aussi limité. Les rares estimations effectuées sur ce point par les cabinets SIA Conseil en France ou Poÿry au Royaume-Uni n'ont pu qu'extrapoler l'expérience américaine, se fondant sur le nombre d'emplois par milliards de mètres cubes produits ou par nombre de puits. Des calculs qui aboutissent, au mieux, à quelques dizaines de milliers d'emplois par pays. Cela n'est certes pas négligeable par les temps qui courent. Mais les gaz de schiste ne constitueront pas la recette miracle qui permettra à l'Europe de sortir de la crise.

Anne Feitz
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